Je souffle, et rien.

 

Isabelle Lévesque

 

Éditions L’herbe qui tremble

 

18 € - 152 pages

 

 ( Parue dans Le Journal des poètes )

 

Isabelle Lévesque est poète et critique littéraire. Autrice de nombreux ouvrages, elle est présente dans plusieurs anthologies. Je souffle, et rien. , poursuit une quête commencée dans des livres récents comme Voltige ! Le fil de givre, Chemin des centaurées ou encore En découdre (1) .

 

Ce livre évoque le drame qui a bouleversé la vie de l’autrice. La « disparition » du père comprenons-nous, dans des circonstances particulières que laissent entrevoir par bribes les poèmes. Il est dédié à Claude et Françoise Lévesque, Valentin et Marie. On pense naturellement aux parents et aux êtres proches de la sphère familiale.

 

On retrouve dans l’ouvrage la région des Andelys dont Isabelle Lévesque est originaire et où elle réside encore aujourd’hui ; les falaises de craie blanche, de celles qui margent la Seine coulant en contrebas. Ainsi que de nombreuses descriptions similaires évoquées dans de précédents ouvrages.

 

Avec ce nouveau livre, Isabelle Lévesque est à nouveau en quête de retrouvailles avec son père. Son écriture ne cesse d’édifier des passerelles vers ce lieu de l’enfance où persiste un souvenir funeste. Par la poésie, elle recrée ce lieu dernier et retrouve cet absent qui lui manque. Dans sa persistance d’écriture la poète tente d’invalider la réalité des faits mais nul ne peut rebrousser le temps, ni défaire le passé.

 

 

 

Je recule, pour tenir ? Peut-on serrer / Entre ses doigts manquants la vie cessée/ Quand septembre vient ? Peut-on /

 

la renverser

 

 

 

Il y a dans ces quelques vers sans doute tout le cœur du projet poétique d’Isabelle Lévesque. Cette lutte opiniâtre qu’elle mène livre après livre pour inverser l’ordre des choses qui furent et maintenir vive la présence de son père. Cet ouvrage est peut-être l’aboutissement de ce travail de mémoire, de fidélité et de résilience.

 

 

 

Je souffle, Et rien. est composé de quatre ensembles suivis d’un épilogue et complétés par une postface de Jean-Marc Sourdillon qui éclaire les intentions du livre. Ce dernier semble bâti sur une avancée progressive vers l’issue du drame, avec ses soubresauts et son dévoilement. Comme des pauses permettant de reprendre souffle, les peintures de Fabrice Rebeyrolle s’intercalent entre les poèmes en me renvoyant, de leur facture abstraite, aux matières de roches, d’eau ou de lichens.

 

Avec cette parution la poète a sans doute passé le cap difficile d’accepter l’inadmissible réalité qui a bouleversé son existence.

 

 

 

Matin d’octobre. J’accepte de te perdre. / J’ai froid, je reste.

 

 

 

Dans cette évocation poétique, nécessaire à l’autrice, tout est suggéré autour de traces précises. Un lieu, des mois d’automne, une heure même et des chiffres 9 et 1 qui figurent, on peut le penser, les alentours d’une date anniversaire.

 

Ainsi, la poète écrit dans la distance maîtrisée des événements qu’elle esquisse de poème en poème. Elle utilise notamment ces signes, ces codes, ces symboles pour « parler » de ce drame qui progressivement se révèle au lecteur. Et elle avance vers ce qui lui est toujours aussi insoutenable, en rapprochant ses souvenirs à la réalité des faits.

 

L’écriture poétique est le moyen par lequel Isabelle Lévesque reste en lien avec le disparu. Ce dernier est présent dans des mots choisis, le nom des fleurs, le lieu revisité, les moments évoqués où ils furent tous les deux rassemblés. Écrire est ici retrouver. Comme ce le fut sur ce Chemin des centaurées ou avec Le fil de givre, fragile, où la poésie seule suscite une forme de résurrection dans le cœur et l’esprit de la poète.

 

Pour l’autrice, l’écriture poétique possède ce pouvoir magique des mots que les enfants connaissent bien. De ceux qu’ils prononcent comme des formules mystérieuses luttant contre l’adversité de certaines réalités. Le poème est ainsi qu’il pourrait ramener, telle Eurydice, le disparu d’au-delà de la mort, le sauvant ainsi d’une chute dans l’oubli.

 

 

 

Une île au loin, son reflet se perdent/ dans le brouillard. / Tu te retournes,/ je te devine.

 

 

 

Nous pénétrons avec les poèmes dans une mythologie personnelle qui prend peut-être ses sources dans les souvenirs d’une fillette.

 

 

 

L’enfant court, tu trébuches. / La force reste dans ta voix / que je n’entends pas.

 

 

 

L’écriture devient ce fil sans fin qui relie l’être perdu à la poète et au temps présent.

 

 

 

Tout ce qui nous retient en un point de la nuit, je l’invente. / Tu signes chaque page au lieu vivant du poème.

 

Malgré le mystère que suscitent parfois certains poèmes, le livre évoque avec plus de précisions que les livres précédents, cet événement tragique qui est au centre du livre.

 

 

 

Je brasse nos mots sous le ciel pour ensemble / étayer la mesure mortelle de la falaise.

 

 

 

Mais si le poème a pouvoir d’esquisser ce qui fut vécu, il possède aussi les vertus magiques de rendre la vie :

 

 

 

Ma voix poursuit le poème évanoui / (ni loin ni lune) pour te faire apparaître.

 

 

 

Et certains vers se changent en incantations mystérieuses à l’image d’un sésame libératoire :

 

 

 

Tourne le chiffre-roue. / Ici / s’est renversé

 

 

 

C’est ainsi que le lecteur est entraîné sur un chemin en clair-obscur avec des vers énigmatiques parfois entrecoupés de dialogues entre l’autrice et le disparu. S’il ne saisit pas avec précision le drame qui se dévoile peu à peu, le lecteur en comprend l’essentiel avec ses longs retentissements. Le livre est ainsi nourri de mystères qui dissimulent l’indicible, sauf pour la poète et le destinataire dans leurs dialogues impénétrables.

 

 

 

Je recompose / le passage secret où te trouver. / Je l’appelle « coquelicot »

 

 

 

« Coquelicot », ce mot employé déjà dans plusieurs livres est ici l’égal d’une formule magique qui aurait vertu de retrouver le disparu. De le ressusciter peut-être ?

 

 

 

Au cours de la lecture, c’est progressivement que les poèmes accèdent à la réalité en tentant de circonscrire plus fidèlement les faits. Des mots apparaissent. Des signes et des traces sont laissés aux lecteurs pour dévoiler cette histoire douloureuse, et rendre plus concret le sens des vers et des poèmes. Ceux-ci sont comme un tapis de mots qui amoindrirait la chute d’une histoire douloureuse et intime.

 

 

 

Comme un travail de mémoire et de deuil, ce livre poursuit la « quête » entreprise par Isabelle Lévesque dans plusieurs de ses livres. Celle du père disparu. Écriture commémorative pour pallier l’absence de l’être aimé que seuls le poème et l’écriture ont pouvoir de rappeler contre la fatalité du temps qui passe. Pour Isabelle Lévesque, c’est ce fil ininterrompu de l’écriture qui maintient encore vif l’être dans sa chute vers le néant.

 

Les lecteurs qui ont suivi les dernières parutions d’Isabelle Lévesque comprendront que ce livre met peut-être fin à une entreprise d’écriture poétique commencée avec des livres antérieurs, tel En découdre, l’avant-dernier, dont le titre indiquait avec force la volonté à parachever un chemin intime.

 

Les différents livres avec leurs mots, vers et poèmes édifient un tombeau poétique pour le père disparu. C’est le parti pris d’Isabelle Lévesque pour s’opposer et commémorer. Contre le chagrin qui aurait pu engloutir l’autrice : Écrire de la poésie ; Partager ; Dire ! sont les moyens que la poète a choisis pour subsister à la disparition du père.

 

 

 

HM

 

 

 

(1 ) :En découdre. Éditions de L’herbe qui tremble.2021

 

Chemin des centaurées. Éditions de L’herbe qui tremble.2019

 

Le fil de givre. Éditions Al Manar.2018

 

Voltige ! Éditions de L’herbe qui tremble.2017

 

 

 

 

 

hm

 

LIVRES PARUS

En collaboration avec Sophie Brassart pour les encres.
D'une vallée perdue à mes jours de mémoire -Ed. Au Salvart

Sur le site Le Pays d'Yveline, Un texte critique de Jocelyne Bernard sur l'ensemble de mes livres.

Sous l'odeur des troènes - Éditions Unicité.
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Sur le site de littérature colombien Panorama Cultural  quelques poèmes extraits de "Sous l'odeur des troènes " éd.Unicité,  Ils ont été traduits par la poète Maggy de Coster. Un grand merci pour elle !

"Origines du poème "- Éditions Au Salvart

Hervé Martin Digny : En frayant un chemin.

Un carnet numérique.Des notes,notes de lectures, poèmes, chroniques sur des numéros anciens de revues de poésie...

Editions Unicité
Recouvrer le monde suivi de Zone naturelle - Ed. Unicité
Dans la traversée du visage - Ed. du Cygne
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     Les livres

Métamorphose du chemin -Disponible chez l'auteur
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http://www.marc-giai-miniet.com/page27.html
Comme une ligne d'ombre -Disponble chez l'auteur et l'éditeur Marc Giai-Miniet
Au plateau des Glières -Ed. de la Lune bleue (épuisé)
Au plateau des Glières -Ed. de la Lune bleue (épuisé)
J'en gage le corps- Disponible chez l'auteur.
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Et cet éprouvé des ombres - Ed. Henry
Et cet éprouvé des ombres - Ed. Henry
Toutes têtes hautes - Ed. Henry
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   Photographies


Avec Véronique Arnault lors de la lecture de Métamorphose du chemin à la galerie Bansard. 15/11/2014
Avec Véronique Arnault lors de la lecture de Métamorphose du chemin à la galerie Bansard. 15/11/2014
Lecture Galerie Bansard le 15/11/2014
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27 mars 2011 - Chateau de Coubertin
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Lecture dans la réserve - 2 oct 2011 -Lydia Padellec & Hervé Martin
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