Entretien avec Hervé Martin

 

Mot à Maux n°10 – octobre 2019

 

 

 

Daniel Brochard : Votre site Incertainregard.fr présente une richesse de documents concernant votre revue. C’est une grande source d’inspiration et un exemple d’aventure littéraire. Quelle place occupait votre revue dans le champ éditorial ?

 

 

 

Hervé Martin : Je souhaite indiquer que je ne dirige plus la revue Incertain Regard depuis novembre 2015. Elle est aujourd’hui sous la responsabilité de la Bibliothèque multimédia Paul Éluard d’Achères et accessible à l’adresse suivante : incertainregard.com. Le premier site demeure sur internet pour quelque temps encore mais il n’y a plus de maintenance et il présente aujourd’hui bien des imperfections : liens morts, pages incomplètes, problèmes d’affichage, etc.

 

Pour revenir à votre question cher Daniel, je veux préciser que j’ai créé la revue par passion pour la poésie et je ne me suis jamais posé la question en ces termes de « champ éditorial ». Cela impliquerait de faire un état des lieux sur quelques critères. Je souhaite laisser à d’autres observateurs le soin d’établir cette représentation. Aussi, je préfère évoquer ici l’histoire de la revue et les raisons qui l’ont fait naître.

 

Au tout départ, j’écris de la poésie. En 1997, à part Gérard Noiret dont j’avais suivi un atelier, je n’avais pas rencontré de poète. Quelques points essentiels fixaient ma passion dont l’écriture que je pratiquais depuis ma jeunesse ;  l’émission Poésie sur Parole d’André Velter, qui était l’un des lieux aisément accessibles évoquant l’univers poétique contemporain ; quelques émissions littéraires et des noms de revues alors découvertes sur France Culture : Banana Split, Po&sie, Action Poétique, Nioques, Jungle, Java... ; le nom de Roland Nadaus, qui résonnait pour moi comme celui d’un poète d’abord, et d’un responsable politique qui avait permis que la bibliothèque de Saint-Quentin-en-Yvelines se dote d’un magnifique rayon de poésie où j’alimentais mes lectures. C’est dans ce contexte quémergea ma principale motivation : diffuser de la poésie contemporaine pour dire que les poètes sont bien vivants.

 

La revue a ainsi débuté tant bien que mal avec une fabrication artisanale diffusée localement. Elle s’est développée en plusieurs étapes. Elle fut d’abord reproduite sur format A4. Puis de quelques feuilles elle s’est rapidement transformée en un livret format A5 de plusieurs dizaines de pages après les conseils et les suggestions avisés de Michel Héroult qui dirigeait alors La Nouvelle Tour de Feu. Reproduite sur imprimante, sa facture était des plus simples. Elle fut gratuite et devint vite numérique. Cette version papier a duré 5 années au cours desquelles 13 numéros ont paru.

 

Une interruption est ensuite intervenue pour des raisons personnelles durant laquelle le site internet est resté en ligne. Enfin de 2007 à 2015, j’ai repris une édition semestrielle et onze numéros sont parus au format numérique pdf.

 

Dans sa période d’édition papier Incertain Regard a réuni les caractéristiques du fanzine et celles d’un site internet qui permettait une diffusion étendue. À l’époque, les visites du site provenaient de nombreux pays. Il faut préciser que la revue fut rapidement reproduite sur l’internet et souligner qu’en 1998, elle était l’une des très rares, sinon la seule à exister ainsi dans sa double diffusion. C’est sans doute l’une des raisons qui lui a longtemps valu un signet à la BNF dont j’étais heureux. Le peu de notoriété qu’elle a eu provient pour partie de son mode de diffusion et bien sûr des poètes importants qu'elle a édité : Philippe Jaccottet, Lionel Ray, Marie-Claire Bancquart, Yves Bonnefoy, Marie Étienne, Jacques Dupin, Guy Goffette...  Et je ne peux pas évoquer la revue sans citer les collaborateurs qui l’ont accompagnée à différents moments au cours des 18 années où je l’ai animée : Emmanuel Hiriart, Jean-Paul Gavard-Perret, Cécile Guivarch, Louis Delorme, Lydia Padellec, Gérard Paris...

 

 

 

 

DB : Malgré le plaisir à réaliser une revue, vous avez essuyé quelques difficultés financières et subi aussi la charge du travail à effectuer seul. Quelles conditions aurait-il fallu réunir pour que la revue puisse perdurer ?

 

 

 

HM : Curieusement, c’est peu après ma décision d’ouvrir la revue à l’abonnement, qu’à la suite d’un changement de vie professionnelle j’ai arrêté l’édition après le treizième numéro. Cette décision a été mûrie et je n’en ai pas de regret. À ses débuts et à l’instar d’autres revues les numéros reproduits sur imprimantes étaient peu onéreux. Si le projet éditorial avait continué, il m’aurait fallu réunir un nombre suffisant d’abonnés pour qu’Incertain Regard puisse éditer des numéros sous la forme d’un livre broché, alors bien plus coûteux. Après cinq ans, les premiers retours d’abonnement avaient été insuffisants pour assurer d’emblée cette nouvelle formule. C’est le fait de beaucoup de dirigeants de revues que de conduire seul la vie des parutions. Et dans la période qui allait s’ouvrir à moi, de recherche d’emploi et de formation, je n’étais pas prêt à investir le temps et l’énergie nécessaires pour poursuivre cette aventure éditoriale. Ne souhaitant pas cumuler les deux situations, j’ai mis un terme à la parution papier sans pour autant renoncer à l’existence de la revue qui a existé seulement sur son site internet.

 

 

 

DB : En mai 2005, vous écriviez sur le site Francopolis : « J’aimerais bien la relancer dans un futur encore indéterminé mais pour une revue d’une belle facture avec une parution semestrielle ou annuelle ». Rêvez-vous du retour de la publication papier d’Incertain regard ?

 

 

 

HM : 2005 est déjà très loin... Depuis, le titre a été repris par la ville d’Achères que je remercie pour avoir assuré la continuité de la revue. Peut-être éditera-t-elle une version papier ?  J’en doute car le numérique conserve des avantages sous de nombreux aspects.

 

C’est vrai que dans un premier temps j’avais pensé relancer la revue avec une belle facture, un papier de qualité, de la couleur peut-être... comme il en avait été question en 2002.  Mais la période 2002 à 2007 fut agitée sur le plan de ma vie professionnelle. Et ce n’est qu’après avoir retrouvé une stabilité d’emploi que j’ai pu reprendre la revue dans une version seulement numérique. Bien sûr que le rêve m’emporte parfois sur les rives de l’édition pour y œuvrer d’une manière ou d’une autre. Et j’y pense parfois... Mais le temps aidant je vais consacrer plus de temps à mon écriture et me dire que j’ai vécu une belle aventure durant 18 ans. Les revues naissent. Les revues meurent. Elles épousent  le cycle du vivant et c’est très bien ainsi. Place à d’autres ! Aux jeunes revuistes, aux nouveaux éditeurs tant que la poésie est ouverte à la diversité, à l’humain, à la résistance et aux Autres qui nous ressemblent tant.

 

 

 

 

DB : Il est très difficile aujourd’hui d’être publié en tant que poète. Les « grands » éditeurs surfent sur la vague de la notoriété des auteurs qu’ils publient. Quels conseils donneriez-vous aux jeunes auteurs en quête d’un éditeur ?

 

 

 

HM : Chaque éditeur est particulier et possède ses singularités. La poésie n’est pas monolithique, elle est diversité.  De Gallimard à l’éditeur associatif qui débute, l’offre éditoriale est très large. C’est à l’auteur de trouver l’éditeur qui conviendra le mieux à ses textes. D’ailleurs, souvent les éditeurs appellent les auteurs postulants à mieux connaître leurs catalogues avant de leur envoyer des textes. D’autant que les délais de lectures peuvent se déployer sur des périodes de trois mois à un an et plus, quand ceux de l’édition des livres acceptés sont souvent projetés sur deux à trois ans.

 

Il faut dire que les éditeurs de poésie sont aujourd’hui débordés par les envois de manuscrits. Il semblerait qu’il y ait plus de poètes que de lecteurs. Mais ce sont souvent les mêmes ! La difficulté majeure pour l’édition de poésie est d’étendre son lectorat au-delà de son potentiel naturel. Le modèle économique que nous subissons tous, impose qu’un éditeur vende ses livres en équilibrant ses comptes. C’est la condition inéluctable pour pérenniser son entreprise. C’est sans doute l’une des raisons qui poussent certains éditeurs à privilégier les auteurs « maison » quand d’autres, submergés, n’acceptent plus de manuscrit.

 

Je trouve que l’offre de poésie est très importante et que les éditeurs font bien leur travail. Mais il faudrait qu’en face de l’offre éditoriale, qui s’accroît me semble-t-il, le lectorat s’étende à proportion du marché. Car il faut bien se résoudre à employer ce mot.

 

C’est une des raisons pour laquelle l’édition en revue est une première passerelle vers l’édition d’un livre. C’est souvent ainsi que les poètes sont lus une première fois. La revue de poésie est un laboratoire pour les auteurs. Elle est le meilleur des supports pour l’édition de premiers textes mais aussi pour éprouver des inédits. Les revues sont nombreuses et diverses.  Elles se renouvellent et témoignent d’une création poétique contemporaine dynamique. Leur point fort n’est pas tant leur nombre qui se maintient autour des 300 titres que leur omniprésence au fil des années dans le paysage éditorial.

 

L’auteur propose ses poèmes aux revues qui décident ou non, de les éditer. En fonction de leurs natures, des textes peuvent être refusés par une revue et être acceptés par une autre. Cela dépend de tant de critères de fonctionnement et d’appréciation des différents comités de lecture. En tout cas, je peux engager les poètes à persister auprès de plusieurs revues et dire qu’un refus ne vaut pas exclusion définitive d’un texte, à moins vraiment qu’il soit hors des champs d’une écriture qui tienne. Ce retour de lecture des revues est aussi pour celui qui veut écrire un avis important qu’il conviendra d’interroger. C’est aux poètes d’aller vers elles pour les découvrir et trouver celle (s) qui leur  « parle (nt) » le mieux. L’édition en revue est assurément le premier pas qu’il faut franchir pour qui souhaite être édité. Il faut les soutenir par des abonnements.

 

Ensuite viendra l’édition d’un livre ou d'un recueil.  Peut-être un livre d’artiste ou un livre pauvre que Daniel Leuwers a initié dans l'esprit d'une collaboration artistique et d'une rencontre humaine. La poésie est aussi dans ce travail d’édition, parfois plus discret mais tout autant sincère.

 

 

 

 

DB : « De la résistance au monde... ...A la confrontation à soi » La poésie est un combat. Quelle place les revues peuvent-elles  occuper dans les prochaines années ?

 

 

 

HM : Depuis plus de 25 ans le nombre de revues de poésie avoisine les 300 titres. Elles se créent, meurent et renouvellent leurs titres au fil des générations qui se succèdent. Elles luttent ! Certaines sont éphémères, d’autres poursuivent leur route ou se transforment et sont actives durant des décennies. Les revues sont le terreau vif  de la création poétique. Elles sont dynamiques, vivent et survivent par la volonté et l’énergie de quelques personnes. C’est dans leurs pages que les poètes partagent leurs textes inédits. Elles sont ce premier ballon d’essai de l’édition. C’est un moment important pour qui écrit, de lire ses textes imprimés une première fois. Il y a dans ces premières relectures de BAT un moment essentiel pour le poète et son texte. Si le numérique a permis aujourd’hui l’éclosion de beaucoup de revues de poésie de qualité, la diffusion de revues « papier » demeure pour moi le vecteur important de l’édition.  Je pense que les revues ont de belles années devant elles. Quelles que soient les difficultés rencontrées elles seront toujours présentes grâce à la passion de quelques-uns et quelques-unes dont l’esprit de résistance au monde est intact. Il restera toujours des poètes, hommes et femmes passionnés pour faire vivre la poésie et la diffuser un certain temps, plusieurs années ou quelques décennies.

 

 

 

DB : Quels conseils donneriez-vous à Mot à Maux ?

 

 

 

HM : Chaque revue suit une route particulière au gré du désir et de l’énergie de celui qui la dirige. Je n’ai pas particulièrement de conseils à donner, si ce n’est quil revient à chacun de suivre au plus près la passion qui l’anime pour la poésie.  Cette passion forte d’une énergie créatrice est bonne conseillère pour autant qu’on balise pragmatiquement un projet éditorial de l’avis d’amis, de poètes ou de revuistes pour affiner ses contours et sa réalisation. Je souhaite bon vent à Mot à Maux et longue vie.

 

 

 

 

 

LIVRES PARUS

En collaboration avec Sophie Brassart pour les encres.
D'une vallée perdue à mes jours de mémoire -Ed. Au Salvart

Sur le site Le Pays d'Yveline, Un texte critique de Jocelyne Bernard sur l'ensemble de mes livres.

Sous l'odeur des troènes - Éditions Unicité.
Sous l'odeur des troènes - Éditions Unicité.

Sur le site de littérature colombien Panorama Cultural  quelques poèmes extraits de "Sous l'odeur des troènes " éd.Unicité,  Ils ont été traduits par la poète Maggy de Coster. Un grand merci pour elle !

"Origines du poème "- Éditions Au Salvart

Hervé Martin Digny : En frayant un chemin.

Un carnet numérique.Des notes,notes de lectures, poèmes, chroniques sur des numéros anciens de revues de poésie...

Editions Unicité
Recouvrer le monde suivi de Zone naturelle - Ed. Unicité
Dans la traversée du visage - Ed. du Cygne
Dans la traversée du visage - Ed. du Cygne

     Les livres

Métamorphose du chemin -Disponible chez l'auteur
Métamorphose du chemin -Disponible chez l'auteur
http://www.marc-giai-miniet.com/page27.html
Comme une ligne d'ombre -Disponble chez l'auteur et l'éditeur Marc Giai-Miniet
Au plateau des Glières -Ed. de la Lune bleue (épuisé)
Au plateau des Glières -Ed. de la Lune bleue (épuisé)
J'en gage le corps- Disponible chez l'auteur.
J'en gage le corps- Disponible chez l'auteur.
Et cet éprouvé des ombres - Ed. Henry
Et cet éprouvé des ombres - Ed. Henry
Toutes têtes hautes - Ed. Henry
Toutes têtes hautes - Ed. Henry

   Photographies


Avec Véronique Arnault lors de la lecture de Métamorphose du chemin à la galerie Bansard. 15/11/2014
Avec Véronique Arnault lors de la lecture de Métamorphose du chemin à la galerie Bansard. 15/11/2014
Lecture Galerie Bansard le 15/11/2014
Lecture Galerie Bansard le 15/11/2014
27 mars 2011 - Chateau de Coubertin
27 mars 2011 - Chateau de Coubertin

 

Lecture dans la réserve - 2 oct 2011 -Lydia Padellec & Hervé Martin
Lecture dans la réserve - 2 oct 2011 -Lydia Padellec & Hervé Martin