L’INVENTION DES SOUVENIRS
ACHEVEMENT DE L’INACHEVÉ
Jean-Paul Gavard Perret
Hervé Martin, « Et cet éprouvé des ombres », Editions Henry, Montreuil sur Mer, 64 pages,
« Sachons voir en ce peu », sachons entendre les pas anciens qui furent emmêlés aux nôtres « dans une proximité confondue à nos vœux » telle est en résumé la règle envoûtante qu’Hervé Martin s’est donné presque instinctivement dans son « Et cet éprouvé des ombres ». Le texte est construit de lopins presque égaux. Ils permettent un resserrement d’une langue à la fois poétique et ténue.
Composée comme un kaléidoscope de réminiscences à peine suggérées cette biographie en morceaux revisite des étapes clés de l’enfance par le prisme d’une langue au lyrisme sec mais à la mélancolie poignante. Les phrases pour évoquer les phases du temps de l’enfance ne paient pas de mine. Elles recèlent pourtant une incroyable densité. Chaque pan retient l’essentiel en s’éloignant de l’emphase et de la psychologie pour ne recourir qu’aux sensations les plus élémentaires et à l’appel.
« Qu’ils se lèvent à nouveau
ceux qui me délaissèrent
à la toute solitude du monde »
écrit par exemple celui qui essaye d’éviter toute hiérarchie entre le banal et l’extraordinaire.
Hervé Martin aime à se déplacer dans des zones aux contours un peu flous. Ce qu’il sait de son père tient autant à son nom qu’à son odeur, qu’aux plis de son front ou à l’instant de sa mort. Mais il n’y a pas de système. Tout est une question de focale plus que d’échelle.
Le travail par fragments permet au poète - lui-même fragmenté - de travailler par strates ce qui remonte à la surface.
Chaque fragment devient une petite mécanique et on regrette simplement que dans ce livre, chacun des éléments n’ait pas toujours la même surface donc la même insistance. Ce n’est là que broutille. Le livre fonctionne comme une gymnastique. Elle impose ses propres contraintes narratives, temporelles. Ce sont des échos, des souvenirs de souvenirs, des appels qui dépassent le poète lui-même. Par glissements successifs un grand ensemble prend corps. Les fantômes des parents y errent à travers les pages.
Hervé Martin ne cesse non de leur dire adieu mais de saluer comme il salue d’autres êtres, lieux, objets. Tous aident à traverser et la nuit et le jour dans un sentiment à la fois mélancolique mais entraînant afin que l’identité du poète lui-même trouve son sens. Au roman d'apprentissage Hervé Martin aura préféré ce qui est pas un raccourci mais une fulgurance.
JPGP